Episode two: Bring me a new hope

« L’éclat de vos yeux se reflète en mon âme. »
Kira la Forcenée, Deux cents lettres à Béka Veneur

« Quel est ton nom ? »
J’ai redressé ma tête, elle était tombée entre mes genoux. J’avais envie de m’effondrer tellement j’avais mal partout, dedans, dehors. Mais j’étais déjà par terre. Ce n’était pas beaucoup plus qu’une ruelle isolée. Il n’y avait que moi et l’ombre sur le sol, et mon ombre.
« Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu as à pleurer comme ça ?
-Partez ! Je veux pas vendre mes organes ! » ai-je brusquement beuglé entre mes larmes.
Il a fait un petit bond en arrière puis il a comprit ce pour quoi je le prenais et il a éclaté d’un long rire cristallin, très beau, très étrange qui a résonné dans tous mes os.
« Je ne suis pas un trafiquant d’organes. Tu te figures que je vais te droguer et t’ouvrir le ventre dans une baignoire ?
-Il y a de tout en ville, on m’a dit. »
Il a sourit un peu, amusé.
« Ce n’est pas faux.
-Je ne vous croirais pas. Je sais pas vraiment pourquoi je suis là. C’est le bordel dans ma tête, laissez-moi. Je crois juste que je veux commencer autre chose, j’arrive plus. Je sais pas ce que je vais faire. Je veux pas mourir ! ai-je bredouillé à toute vitesse. Partez ! Je veux pas de vous. »
Il n’a pas reculé. Il est resté là, il s’est agenouillé et il m’a regardée avec de grands yeux en amandes. J’ai eu fugitivement l’impression d’être un légume sur un étalage. Il me jaugeait du regard, décelant les imperfections. Je m’attendais à ce qu’il en trouve une foule mais j’étais apparemment ce qu’il attendait car il s’est relevé et il a sourit encore, plus franchement cette fois. Il avait de très fines lèvres.
« Que dirais-tu si je te proposais de t’héberger ? »
Je n’ai rien répondu. Je ne savais pas ce que je dirais. Je n’arrivais pas à le cerner, à savoir ce qu’il pensait, à deviner ce qu’il voulait de moi.
Peut-être parce que ce qu’il désirait était complètement inimaginable?
« Mais on ne peut pas avoir sans renoncer a-t’il précisé d’un ton réjoui.
-Que voulez-vous, exactement ? » lui ai-je demandé, incapable de contenir ma curiosité.
Sa réponse me surprit totalement.
« Ta face Pile.
-Ma face Pile ? ai-je répété sans comprendre.
-C’est le contraire de ce que veulent les trafiquants d’organes…Et ce que les gens de mon espèce recherchent à tout prix.
-Je ne comprends pas l’ai-je interrompu. Qu’est-ce qui est le contraire d’un organe ? »
Il a croisé les mains. Ses doigts étaient très longs, très fins, presque argentés. Ses ongles étaient laiteux eux aussi, adamantins. Sa main gauche était couleur d’or sombre, la droite d’un blanc brillant. L’entrecroisement de ses doigts était une merveille.
« Les organes sont l’intérieur. Quel est l’extérieur, alors ?
-Le…Le corps ?
-Exactement. Sais-tu ce qu’est un Biomécanicien ? »
J’ai répondu que je ne savais pas.
« Je veux tes bras m’a-t-il finalement révélé de but en blanc.
-Quoi ? me suis-je étranglée, scandalisée. Jamais !
-Meurs de faim, alors. »
Il a fait mine de tourner les talons, l’air peiné.
Mes idées se sont faites violence dans ma tête quelques secondes durant. Puis je me suis décidée. J’étais si intriguée par cet individu que je ne pensais même plus à geindre ni à me lamenter sur mon sort. Je me suis levée et j’ai couru pour le rattraper. Il marchait à grands pas, j’ai eu du mal mais j’ai finis par agripper le lourd tissu noir de son manteau.
« Vous pouvez pas me dire autre chose ? Peut-être que je voudrais bien ? »
Il s’est retourné et j’ai vu que ses yeux était jaunes comme des topazes. J’ai dû avoir l’air parfaitement sotte parce qu’il m’a détaillée longuement d’un air inquiet.
« Que…
- Vous ne faites pas trop trafiquant d’organes, en fait, alors euh ben si vous voulez de moi, peut-être que je veux bien venir, vous me nourrirez aussi ? »ai-je haleté d’une voix rendue incertaine par le regard jaune de l’inconnu.
Ses yeux se sont faits de plus en plus grands et de plus en plus étonnés. Il avait de singulières pupilles fendues comme celles des chats, qui ressemblaient un peu à d’élégants croissants de lune.
« Arrêtez de me regarder comme un con, vous me fichez la honte ! me suis-je fâchée.
-Donc c’est d’accord ? a-t-il dit sans se préoccuper de mon mécontentement.
-Je crois. »
Il a croisé les bras et il a rit, la main devant la bouche.
-Qui es-tu ?
-Je m’appelle Julie » ai-je répondu du bout des lèvres, savourant ces derniers restes de passé.
Il a haussé un sourcil, contrarié.
« Je n’aime pas ce nom. Désormais, tu seras Petra. »
Je n’ai pas répondu tout de suite. Je ne voyais pas quel avantage il pouvait tirer du fait d’avoir changé mon nom. Alors je lui ai posé la question. Il m’a répondu qu’il n’y en avait aucun. Je ne savais pas ce qu’il fallait que je pense. Je me suis répété mon nouveau nom à moi-même. Petra. Petra. Ça faisait comme une petite musique dans ma tête, agréable et rassurante. Quelque chose qui n’appartenait qu’à moi.
« D’accord. Je vous prête mon corps. Mais je veux savoir qui vous êtes. »
Il m’a montré quelque chose sur le bras de son manteau. Un N percé d’une flèche entouré d’un cercle épais surmonté d’une crucifère retourné, frappé sur le tissu comme au fer rouge. Je n’avais aucune idée de la signification de ce symbole.
« Il ne m’avance à rien, votre truc, là. »
Il a parut abasourdi.
« Tu ne connais pas les Biomécaniciens ?
-Désolée, je ne m’intéresse pas trop aux voitures » ai-je répondu, penaude.
Il s’est esclaffé comme s’il n’avait jamais rien entendu d’aussi drôle.
« Désolée ai-je encore dit.
-Mais la Biomécanique n’a rien à voir avec les voitures ! » s’est-il écrié, essuyant les larmes de rire aux coins de ses grands yeux dorés.
Il m’a tendu sa main blanche.
« Je m’appelle Felipe Caeruleum, onzième du nom. Ravi de te connaître. »
Je ne savais pas trop quoi faire. J’ai serré la main. C’était froid comme du marbre. Je ne savais pas non plus trop ce qui allait m’arriver par la suite. J’avais un peu de mal à rassembler mes idées.
Et là, j’ai vu une seringue emplie d’un liquide transparent comme de l’eau s’enfoncer à toute vitesse dans le dos de ma main.
Le sol s’est ouvert sous mes pieds et j’ai chuté dans un trou noir.